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Contexte

La société C. avait commandé à la société M. une étude pour optimiser la motorisation d’une serrure d’hôtel afin d’en améliorer l’autonomie. Les deux sociétés ont conclu d’une part un accord de confidentialité et d’autre part un accord de prestation, qui prévoyait que le commanditaire, C., étant propriétaire des résultats.

Cette étude a fait l’objet de deux commandes additionnelles pour la réalisation d’un prototype et la fourniture d’un rapport technique permettant de préparer une demande de brevet, et a abouti à une solution répondant à l’objectif, qui a fait l’objet d’une demande de brevet déposée par C.

M., bien qu’ayant rempli sa mission, a toutefois proposer d’engager de nouvelles études pour améliorer la résistance aux chocs de cette serrure motorisée. S’en est suivie une succession de propositions d’étude émanant de M., acceptée par C. dans le cadre de nouvelles commandes. Les tests menés par C. montraient néanmoins que le problème de mauvaise résistance aux chocs perdurerait.

Finalement, M. a imaginé une alternative de serrure motorisée prévoyant le verrouillage non plus par des organes mécaniques mais seulement par des forces magnétiques, et a déposé à son nom une demande de brevet portant sur cette solution. M. a proposé cette solution à C. en indiquant qu’elle l’avait breveté et proposait d’octroyer une licence d’exploitation. C. dans un premier temps semblait dubitative et a commandé un démonstrateur pour vérifier le fonctionnement.

Quelques temps plus tard, M. a présenté ses résultats sur une serrure à verrouillage magnétique à un colloque scientifique.

Lorsque la demande de brevet a été publiée, C. s’est considéré trompé :

  • Du fait d’un prétendu manquement aux obligations de confidentialité de M.
  • Du fait d’un dépôt abusif d’un brevet portant sur une invention qui lui appartenait en application du contrat d’étude qu’elle qualifiait de « contrat-cadre » et du fait que le problème technique a été mis en évidence par les tests qu’elle avait mené.

Après une tentative de médiation, C. a assigné M. devant le Tribunal de Commerce de Besançon pour la présentation qu’elle considérait comme attentatoire à l’engagement de confidentialité et devant le Tribunal de Grande Instance de Paris, le 7 juillet 2015, en estimant que le brevet aurait été déposé en fraude de ses droits. Elle souhaitait se voir attribuer la propriété du brevet (ou la copropriété le cas échant), sur le fondement du contrat-cadre conclu entre les parties qui prévoyait que les résultats de la collaboration lui appartenaient.

Par ailleurs, C. a engagé une démarche consistant à former systématiquement opposition à chaque brevet européen délivré au nom de M., quelque soit le domaine concerné.

 

Sur la titularité du brevet

Les juges ont considéré que le prestataire a identifié seul le problème technique relatif à certaines serrures (l’absence de résistance aux chocs), et c’est lui-même qui en a trouvé la solution technique (en rendant le levier insensible à tout choc extérieur par un verrouillage magnétique et non plus mécanique).

Il a mis en œuvre son savoir-faire et ses fonds propres, et avait par ailleurs averti le donneur d’ordre de sa volonté de déposer un brevet et avait même proposé de lui concéder une licence d’utilisation …

De plus, les juges ont soulevé que le prestataire avait déjà rempli sa mission et était libérée de ses obligations contractuelles, dans la mesure où il avait réalisé l’étude prévue dans le contrat, ce qui avait abouti à un dépôt d’une demande de brevet par l’autre partie. La demande de brevet qu’a déposé le prestataire n’intervenait donc pas dans l’exécution du contrat-cadre prévu entre les parties, mais a été réalisée dans des domaines complètement distincts, portant sur des objets différents.

 

Sur l’opposition répétée d’une partie sur les demandes de brevets de l’autre partie

Une question se posait sur la légitimité des nombreuses oppositions formées par la société C. à chaque brevet délivré au nom de M.

Est-ce une «une volonté de nuire confinant au harcèlement et une instrumentalisation tant des juridictions judiciaires que de l’Office Européen des Brevets », comme le soutenait M.?

Sur ce point, les juges répondent que l’utilisation de la voie judiciaire contentieuse est un droit de chacun, et que même si les prétentions sont rejetées par la suite, on ne peut caractériser ce comportement comme une faute et un abus de droit.

 

Sur les accords de non-divulgation et de confidentialité prévus dans le contrat-cadre

Les deux parties étaient également en cours d’instance devant le Tribunal de Commerce de Besançon, qui avait rendu sa décision 2 mois avant, le 1er février 2017. Le donneur d’ordre avait assigné son co-contractant en violation des obligations contractuelles de confidentialité, prévues dans le contrat-cadre (l’obligation de confidentialité et de non-divulgation des informations sur les prototypes de serrures). En effet, le prestataire avait déposé une demande de brevet, rendue publique par la suite, avait divulgué des informations à l’occasion d’un grand congrès de spécialistes à l’Ecole Normale Supérieure, et avait rédigé un article accessible sur le site internet de l’Ecole.

Le Tribunal a jugé que la présentation du prestataire était relative à une invention qui lui est propre, car le concept des 2 serrures était totalement différent. Aucune preuve n’était rapportée que les informations présentes dans l’article publié étaient confidentielles.

 

Ce qu’il faut retenir :

  1. Ne sera pas tenu au titre des clauses contractuelles d’un contrat-cadre prévoyant l’attribution des résultats à une seule des parties, le prestataire qui a rempli sa mission initiale et qui a déposé une demande de brevet sur une invention non prévue par ce même contrat.
  2. La saisine des Tribunaux ou de l’Office Européen des Brevets est un droit qui bénéficie à chaque personne. Le fait de multiplier les oppositions à l’encontre de demandes de brevets déposées par des tiers ne constitue pas un abus de droit
  3. Un accord de confidentialité n’empêche pas les parties de divulguer un énoncé technique différent de celui confiné par le contrat-cadre d’origine

 

Pierre Breesé

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